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Une histoire de Franck - Les Cahiers du football || magazine de foot et d'eau fraîche

Adulé comme une divine surprise pour sa fraîcheur lors de la Coupe du monde 2006, puis vilipendé pour sa "mentalité" quatre ans plus tard, partiellement réhabilité, enfin, par la grâce de sa longévité au plus haut niveau et par l'injustice d'un Ballon d'Or dont il a été privé : le parcours accidenté de Franck Ribéry, avant même sa tardive et subite émergence au plus haut niveau, c'est tout un roman. Or ce roman n'a jamais été écrit. Il n'existe pas de biographie récente du numéro 7 des Bleus et du Bayern, peut-être parce que nul ne sait aujourd'hui par quel bout prendre le personnage, peut-être parce que le potentiel commercial d'une telle biographie est incertain pour les éditeurs adeptes de ce format, peut-être parce que lui-même n'en a pas voulu, même "autorisée". À quoi bon s'expliquer quand on est la somme de tant de malentendus et de malveillances, raconter sa vie quand on a fait sa vie contre les autres, quand on s'est vu infliger bien d'autres stigmates que les cicatrices qui faisaient marquer une pause voyeuriste au caméraman chargé de filmer les joueurs pendant les hymnes, en 2006 ? Pourquoi décliner son identité quand on s'en est vu assigner tant dans lesquelles on ne s'est pas reconnu ? Lui-même éconduit par "l'entourage" du joueur, Gilles Juan n'a pas renoncé à son projet : il a fait le choix de se glisser dans la peau de son sujet afin de le raconter à la première personne, en tâchant de lui rendre la parole plutôt que de la lui prendre, d'écrire avec lui, sans séparer l'homme de l'artiste - selon les termes de l'auteur dans son prologue. Pour réussir un exercice périlleux, il fallait tout le talent de Gilles - contributeur des Cahiers depuis près de douze ans, membre de la formation originelle des Dé-Managers (1), pilier de notre revue. Périlleux, parce qu'il fallait rester sur un fil pour ne tomber ni dans la complaisance ni dans la caricature, parce qu'il fallait parler dans le langage de Franck sans le parodier, en le restituant avec sa poésie propre. Franck est donc un "autoportrait imaginaire", qui s'appuie toutefois sur des faits et une chronologie exacts. Chacun en reconnaîtra sans doute le héros, mais aussi toutes les années de football traversées ensemble. Car c'est aussi un roman national, certes pas celui des contempteurs de Ribéry, en lequel ils ont voulu dénoncer une menace pour la patrie. L'auteur ne tombe pas dans le piège de l'entreprise de réhabilitation. Il se met à la place d'un homme qui aura été jugé illettré, idiot, vulgaire, d'un Ch'ti transfuge de classe passé de Boulogne-sur-Mer au Bayern Munich, présentant la circonstance aggravante d'être musulman, d'un joueur turbulent, parfois joyeux, parfois sombre, qui aura alterné les conduites de balle fatales sur les terrains et les écarts de conduite en dehors. C'est pourquoi le portrait tombe - on en prend le pari - si juste. Que le lecteur apprécie ou pas Ribéry, Franck est une merveilleuse déclaration d'amour aux footballeurs et au football. C'est, enfin, un roman tout court, c'est-à-dire une œuvre de littérature qui cache ses ambitions derrière l'apparente modestie de son sujet. On espère déjà qu'elle aura une suite. Franck. Autoportrait imaginaire, de Gilles Juan, éd. Marabout, 2024, 18,90 euros. (1) Laissé sur le banc pour avoir voulu parler de tactique au babyfoot, murmure-t-on.

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