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Everton, du rêve au cauchemar - Les Cahiers du football || magazine de foot et d'eau fraîche

Opération réarmement. Depuis peu, la Premier League s'est secouée et tape (enfin) du poing sur la table. Elle se dit déterminée à sévir, "au nom des vingt clubs de la division et leurs supporters", après des décennies de dérives et laisser-faire. Everton, pour la deuxième fois cette saison, et Nottingham Forest font les frais du durcissement. Ces deux clubs auraient confirmé avoir enfreint les nouvelles règles du fair-play financier portant sur la saison 2022/23, désormais appelées "Profit and Sustainability Rules" - règles de rentabilité et durabilité. Richard Masters, le directeur général de la Premier League, parle à terme de s'aligner sur le nouveau modèle de l'UEFA. photo cc Jpag Le duo a jusqu'au 30 janvier pour répondre aux accusations portées, avant d'être entendu par une commission indépendante. Everton considère toutefois, en substance, que cette dernière charge fait doublon et que le règlement manque de clarté. Outre Manchester City et Chelsea, d'autres sont marqués à la culotte, notamment Wolverhampton Wanderers (voir ici, sous l'intertitre "Danzer zone") et Newcastle United. Mais le cas d'Everton est symptomatique. C'est celui d'un club dysfonctionnel qui a trop voulu croire "au rêve", en faisant fi des avertissements. Sévérité inattendue Mi-novembre 2023, une commission indépendante pénalisait Everton de dix points [1], avec effet immédiat, pour avoir dépassé la limite autorisée d'endettement de 19,5 millions de livres, sur la période 2019/22 (Everton a perdu 124,5 millions sur ces trois ans alors que le maximum autorisé est de 105). La commission, dont le président est nommé par les clubs de Premier League (sur proposition de son directeur général), a qualifié la conduite d'Everton d'"irresponsable". Vu la passivité affichée jusque-là par la Premier League, personne ne s'attendait à une telle sévérité pour quelques millions de trop, et pour une seule infraction d'ensemble, surtout au regard de l'impunité dont bénéficie Manchester City - et ses 115 casseroles - depuis quinze ans, les irrégularités relevées remontant à 2009. Et sans les révélations chocs de Rui Pinto, le lanceur d'alerte à l'origine des "Football Leaks", pas sûr que Man City aurait été inquiété par la Premier League. Des Citizens qui font le forcing via leurs avocats (dont Lord David Pannick, aux émoluments De Bruynesques : 10.000 livres de l'heure !), et contestent systématiquement chaque point, faisant ainsi traîner les procédures. C'est en jouant ainsi la montre et le pourrissement, avec plus qu'un œil sur les délais de prescription, que Man City avait réussi à faire annuler son exclusion des Coupes d'Europe en juillet 2020. Le fait que l'UEFA, que Man City aurait menacé "de détruire" par le passé, avait étonnamment laissé City nommer deux des trois juges du Tribunal arbitral du sport au lieu d'une seule nomination autorisée par partie, explique aussi le résultat de 2-1 (décision à la majorité) en faveur des Mancuniens... Un traitement de faveur accordé par l'UEFA "pour simplifier les choses" et "rendre une décision avant le début des compétitions européennes", selon les documents examinés par The Athletic. Pénalité historique Le verdict n'est pas attendu avant la fin 2024 ou l'été 2025, selon les sources, et des prolongations sont à prévoir en cas d'appel de l'une des parties. Donc largement le temps, pour, City de fausser davantage les débats et gratter quelques titres supplémentaires. Richard Masters a indiqué, le 16 janvier devant la commission parlementaire chargée de la culture, du sport et des médias, qu'une date pour le lancement des auditions avait été arrêtée, sans la révéler (car cela aurait enfreint deux règles sur la confidentialité du règlement de la Premier League). Dix points de sucrés, c'est tout simplement la pénalité la plus sévère jamais imposée dans l'élite depuis la création de la D1 en 1888. Même Portsmouth avait récolté moins en 2010, pour des faits autrement plus graves. Et rappelons que les six mutins anglais de la Super Ligue mouture 2021 n'avaient écopé que d'une amende dérisoire (3.6 millions chacun), sans même un retrait de points avec sursis. Leur insurrection mettait pourtant gravement en danger la Premier League. Si les Toffees peuvent faire valoir des circonstances atténuantes (listées ici, sous "mitigating factors"), pour les instances, les facteurs aggravants sont établis, même s'il convient de préciser que le dossier est complexe et qu'il comporte des zones grises. Everton s'est défendu en envoyant pas moins de 40.000 documents à la commission, ce qui aurait passablement agacé les investigateurs. Manquements et transgressions Les circonstances ayant conduit à l'annonce du 15 janvier, et qui portent sur la saison 2022/23, sont encore trop méconnues pour les analyser. En revanche, on en sait beaucoup plus sur les raisons motivant la décision de novembre. En résumé, Everton est accusé d'avoir maquillé certaines dépenses et ignoré les multiples avertissements de la Premier League sur leurs violations répétées du règlement financier. Le club, racheté progressivement en 2016 par l'homme d'affaires Farhad Moshiri, basé à Monaco et souvent considéré comme l'un des pires propriétaires du football anglais, est chaotiquement géré depuis des années. Prenons par exemple la saison 2021/22. Everton, alors sous surveillance financière après avoir passé un deal bienveillant avec la Premier League (ce qui naturellement déplut aux autres clubs), était censé demander l'autorisation à cette dernière pour chaque mouvement de joueur, ce que la direction "omit" de faire à l'intersaison 2022. "Ça a rendu la Premier League furax, surtout qu'ils s'étaient mis en quatre pour aider Everton à rester dans les clous", confie un insider dans cet article du Times. Une saison qui correspond à l'arrivée comme entraîneur, en janvier 2022, de Frank Lampard, en remplacement de Rafael Benítez, qui dura six mois. L'ex-milieu emblématique de Chelsea dépensera beaucoup, et mal. La vente de Richarlison à Tottenham, pour 60 millions, équilibra quelque peu les comptes, mais déboucha sur l'achat dispendieux de nombreux flops surpayés. Les Américains du fonds d'investissement collectionneur de clubs 777 Partners, le nouveau propriétaire depuis septembre 2023 [2], tentent aujourd'hui de remettre de l'ordre, assistés d'Andy Burnham, maire du Grand Manchester et supporter Toffee, qui est monté au créneau, comme il l'avait fait en 2009 dans le dossier Hillsborough. Car les rats ont quitté le navire et des membres clés de l'ancien directoire ont même refusé de collaborer avec la commission, une assistance qui aurait pourtant pu aider les enquêteurs à démêler l'écheveau des comptes internes et ainsi profiter au club. photo cc Ben Sutherland Living the dream Lors de la première saison prise en compte (2019/20), Everton, qui avait fini dans le Top 8 les trois exercices précédents, va viser la qualification en Ligue des champions et tabler sur d'hypothétiques recettes européennes pour financer le projet. En cela, la stratégie du club et la rhétorique utilisée ne sont pas sans rappeler le désastreux "We are living the dream" du Leeds United de l'ère Peter Ridsdale. Sans grand discernement, Everton a dépensé 750 millions dans l'effectif depuis 2016, en incluant les managers et les multiples indemnités, sans avoir les reins suffisamment solides. La construction du nouveau stade n'a rien arrangé. Prévu pour coûter 500 millions, on se dirige vers un surcoût de quarante pour cent. À Noël 2020, Carlo Ancelotti, en poste depuis un an et rémunéré 14 millions l'année (soit moins que Benítez), les hisse à la deuxième place, mais c'est un feu de paille. Everton finira 10e, avant de frôler par deux fois la relégation. "Ce dont nous sommes coupables, c'est d'avoir osé rêver et tenté des paris", synthétisera un peu lunairement un proche du club cité dans l'article du Times. Plusieurs concurrents d'Everton au maintien, dont Burnley, Leeds et Leicester, se sont légitimement estimés lésés mais, après avoir envisagé de poursuivre le club liverpudlien, ils ont finalement opté pour la négociation avec 777 Partners. Everton a fait appel début décembre. Le sentiment d'injustice les a d'abord galvanisés (12 points pris sur 15 possibles) et largement extirpés de la zone rouge où la pénalité les avait enfoncés, avant que la réalité sportive ne les rattrape. La Premier League, qui a promis de trancher tout litige pendant la saison en cours, devrait rendre le deuxième verdict d'ici mai. Premier League sous pression Depuis 2021, et la tentative avortée de Super Ligue ainsi que le rachat de Newcastle United par le PIF saoudien, la Premier League est sous pression et sa suprématie contestée. Jusqu'alors laxiste, l'instance s'est vue obligée d'endosser le costume du shérif. La raison de cette mue forcée, opérée sur fond de crise identitaire, tient surtout au souhait des gouvernements conservateurs successifs de réformer la gouvernance du football anglais, via la création d'un "régulateur indépendant" (peut-être pas si indépendant que cela puisque ses membres seront nommés par le gouvernement). Cette nouvelle autorité, en tant que gendarme financier chargé de superviser les clubs, actuelles prérogatives de la Premier League, affaiblirait significativement cette dernière, qui tient désormais à prouver qu'elle peut faire le boulot elle-même, sans organe de tutelle. Un régulateur verra sans doute le jour d'ici 2026, mais la Premier League entend dès maintenant limiter les dégâts et tenter de se dégager une marge de manœuvre pour, in fine, conserver une sphère de compétences significative. Le projet de loi, initié en 2019, parallèlement à une vaste consultation des acteurs du ballon rond, s'est cependant vite enlisé dans l'instabilité politique chronique, en partie causée par les apories du Brexit (quatre premiers ministres se sont succédé entre 2019 et 2021). Une nouvelle version actualisée et plus complète sera bientôt proposée. Les Travaillistes, prochains maîtres à bord, se sont engagés à faire passer la loi, en modifiant sans doute ses contours. Un "petit club" Les Toffees se battront jusqu'au bout et sur tous les fronts, surtout depuis que Richard Masters les a qualifiés de "petit club", accréditant pour beaucoup la thèse, répandue, que la Premier League roule surtout pour "les gros", qu'elle craint et ménage car leur attractivité planétaire et leurs considérables revenus sont consubstantiels de sa prospérité. Une affaire existentielle donc, qui ferait que la Premier League se montre faible avec les puissants, surtout ceux liés à des états (au hasard, Man City et le Chelsea d'Abramovitch), et impitoyable avec les faibles. Sean Dyche, leur manager, n'est pas du genre à lâcher le morceau et, du côté de Goodison Park, on espère que la Premier League, dans un sursaut de flexibilité, saura se montrer juste. Everton ne tient pas à essuyer les plâtres d'un système de contrôle en mutation et dont les modalités, à l'évidence, ne sont pas aussi clairement définies que l'affirme Richard Masters. Le verdict sur le retrait de 10 points devrait tomber d'ici la mi-mars et ce n'est qu'ensuite qu'une commission pourra instruire la deuxième affaire. Un troisième acte est techniquement envisageable. Voir Everton expédié de la sorte en Championship, d'où il est notoirement difficile de s'extraire, serait vécu localement comme une tragédie. Les Toffees sont présents sans discontinuer dans l'élite depuis 1954 et comptent 121 saisons de D1, un record. Le club est par ailleurs très actif au sein de la communauté, via sa fondation qui jouit d'une prestigieuse réputation. Au-delà du cas d'Everton, on ne peut que saluer ces efforts de régulation visant à améliorer la santé financière des compétitions et par là même, à tendre vers une plus grande équité. En attendant d'autres chantiers, celui des clubs-États par exemple. Rêver ne coûte rien, en principe. [1] La commission indépendante n'a pas expliqué comment elle était arrivée à ce total de 10 points, jugé arbitraire par beaucoup. Elle dément cependant avoir adopté l'idée de Richard Masters d'appliquer le barème suivant : une déduction fixe de 6 points, plus 1 point par tranche de dépassement de 5 millions. Ce barème, imaginé en août dernier, est officieux et n'entre pas dans les recommandations officielles du règlement de la Premier League. Cette dernière aimerait toutefois qu'une telle formule, ou une autre, serve systématiquement de base de calcul dans ce genre de dossier, "sauf pour les cas très complexes" (comme ceux de Chelsea et Man City ?). La commission nie avoir subi une quelconque influence et avance deux raisons dans son démenti. D'une part, suivre les suggestions de quiconque contreviendrait aux dispositions relatives aux articles W50 et W51 du règlement de la Premier League, qui confèrent à la commission une liberté d'action totale. D'autre part, ce barème ne figure pas dans le règlement de la Premier League et donc ne saurait être pris en compte. On remarquera toutefois, sans en tirer de conclusion, que la sanction de 10 points correspond peu ou prou au résultat du barème (9 points), s'il avait été utilisé. [2] 777 Partners est cependant toujours en attente de satisfaire les critères d'intégrité financière et judiciaire de la Premier League (Owners' and Directors' Test), récemment durcis. Interrogé par la commission parlementaire, Richard Masters a laissé entendre que certaines garanties n'avaient pas encore été fournies par 777 Partners. Pour plusieurs tabloïds, ce dernier coup dur, ajouté à celui de novembre, aurait sensiblement modifié les paramètres de la vente.

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