This website requires JavaScript.
Placeholder image

Anatomie d’une chute

ues mois à peine, Marc Keller a perdu son totem d’immunité et se trouve désormais visé par des banderoles. C’est inédit, cela suscite manifestement de la nervosité et ce n’est probablement que le début.

“Marc Keller : complice ou victime de la politique BlueCo”. Contre Monaco, le président du Racing a été visé nommément par la tribune la plus emblématique du stade, ce qui a fait réagir tout au long de la semaine écoulée. Les associations de supporters, et plus spécifiquement les ultras, ont longuement soupesé leur communication et pris un certain temps avant d'en arriver à ce point. La spécification sous forme de question rhétorique est encore assez peu virulente, plus passive-agressive que véritablement violente. Elle n’en constitue pas moins un sacrilège pour ceux qui croient encore aveuglément au Grand Homme et ont hurlé à l’ingratitude. Si le péché de blasphème existait sur les bords du Krimmeri, il y aurait quelques inquisiteurs amateurs pour envoyer les Zubés au bûcher.
Mais si l’on va plus loin que cette insoluble dispute il faut remarquer que depuis l’annonce de la vente de 99,97% des parts du club à BlueCo juin 2023, et plus particulièrement ces dernières semaines, Marc Keller est contraint de s’adonner à un exercice extrêmement inhabituel pour lui.
Il doit se justifier.
On perçoit que cela le stresse, l’interpelle et le plonge dans l’inconfort. C’est assez logique puisque depuis une douzaine d’années sa communication lisse et creuse (“Commissaire Bialès” selon l’expression géniale popularisée par @athor) était accueillie et relayée sans aucune anicroche par une presse sportive et régionale parfaitement acquise à sa cause. Marc Keller c’était le prototype de tout ce qu’il faut, ou faudrait, au football français : une prestance certaine, un passé de joueur de très bon niveau allié à des études supérieures, des résultats probants et un discours en tout point conforme à ce qui était attendu par les milieux politico-économiques. On invite le stubiste collectionneur à se replonger dans le premier numéro du hors série “Un seul amour et pour toujours” de Zut Magazine où littéralement tous les interviewés récitaient l’évangile selon Saint Marc à un point devenant gênant, même pour un observateur bienveillant. Le citoyen d’Eschau a relevé beaucoup de défis ces dernières années mais aucunement celui de devoir affronter la contradiction, pas plus en externe qu’en interne. Le yield entre l’effort fourni pour produire de la parole originale et la réception médiatique de celle-ci était absolument excellent, à peine affecté par la répétition mécanique des mêmes éléments de langage. Jusqu’ici tout va bien
Au départ, l’affaire BlueCo n’avait pourtant pas si mal démarré. En préservant le secret de la transaction quasiment jusqu’au bout et en orchestrant parfaitement son maintien en poste par le nouvel actionnariat, Marc Keller s’était habilement posé en garant. Présence rassurante, son nom était invoqué par tous ceux qui, sans adhérer pleinement au fameux “projet”, étaient prêts accorder le bénéfice du doute. Avec l’imMarculée conception, le Racing version BlueCo resterait le Racing éternel et serait immunisé des dérives connues ailleurs. Un genre de multipropriété sans multipropriétaire où l'on préserverait l’essentiel tout en cédant à l’air du temps. Le programme était évidemment de base bancal, mais son emballage réussi était apte à séduire une belle majorité en terre d’humanisme rhénan, où il est vrai que l’on est pas à un compromis boiteux près. La minorité de Cassandre qui ont évoqué dès le départ la trahison ont bénéficié au mieux d’un petit succès d’estime du type que celui que France Inter accordait à feu Jean-Louis Murat, quant ils n’ont pas été renvoyés à leur misérable condition de nerds alcooliques déblatérant des insanités en mâchant du saucisson autour d’un Iphone rechapé dans un salon neudorfois.
En partie aveuglé par un entourage acquis à sa cause jusqu'à la servilité, Marc Keller a néanmoins gravement surestimé son rôle dans l'improbable alignement cosmique ayant permis la très belle décennie du Racing 2021-2022. Il en a aussi mal évalué la solidité générale.
Ce parcours admirable, dont nous sommes presque tous déjà nostalgiques, n’a pas été impulsé par le président mais par un réflexe primaire de survie ayant résonné très profondément en Alsace, depuis les supporters les plus engagés jusqu’à ceux qui ne vont jamais au stade en passant par toutes les nuances des personnes morales et physiques ayant considéré que le RCS faisait partie d’un patrimoine culturel à défendre. Il est parfaitement inédit dans l’histoire du club, même l’épisode 1979 est moins harmonieux. C’est l’alignement de toutes les parties prenantes qui a permis à l’institution Racing de prendre autant d’épaisseur et de prospérer de façon aussi heureuse. Les salariés du club ont surtout exploité, canalisé et stimulé ce mouvement, parfois avec inspiration et plus généralement avec beaucoup de transpiration. L’erreur fatale est de de s’en être crû propriétaire-créateur alors qu’on en est au mieux dépositaire-dompteur.
Le désalignement, aussi léger soit-il, sonne faux et impacte gravement l’intégrité de l’ensemble. On l’a perçu dès l'automne lorsque les résultats ont commencé à se dégrader à la suite du départ de Jeanricner Bellegarde et de l’échec patent du recrutement, incarné par Emmanuel Emegha et Abakar Sylla. Les travées de la Meinau, qui avaient jusqu’ici manifesté une indulgence infinie à l’occasion de séquences régulièrement médiocres, se sont cette fois vidées ou impatientées. Cette sérénité qui distinguait autrefois le Racing lors des pannes de résultat s’est transformée en gêne, avec des chants qui claquent moins fort, des sièges désertés plus vite et une plateforme de revente qui n’a jamais connu autant de succès alors même que le service de communication continue à vendre les guichets fermés aussi sûrement que Léonid Brejnev les records de production agricole. Le malaise était déjà là, palpable à défaut d’être caractérisé. Il a été seulement estompé par la relative bonne passe hivernale et ravivé par le transfert brutal de Matz Sels, sans nul doute le pire choix sportif depuis bien longtemps. Les jeux sont faits, rien ne va plus
Ce changement d’ambiance est parfaitement anecdotique pour BlueCo, il l’est beaucoup moins pour Marc Keller. Depuis des mois, les multiples échos décrivent un président heurté, qui ne comprend pas la contestation et pense qu’il faut simplement faire preuve de la fameuse “pédagogie” pour que ses ouailles comprennent que c’est pour leur bien, que rien ou presque n’a changé, qu’on aurait fait comme ça de toute façon, qu’il n'y avait pas d’autre choix, que ça va finir par payer et ainsi de suite. A ce titre, on s’est rarement autant rencontré entre supporters et dirigeants, sous des multiples formats et souvent en longueur mais sans autre résultat que d’accentuer l’incompréhension mutuelle. Enfermé dans le déni, et ayant l'impression d’avoir égaré son mojo, le dirigeant n'est pas aidé par des cadres qui n’osent ou ne peuvent lui apporter la contradiction et se complaisent dans une flagornerie ridicule. Rien que cette semaine, on ainsi vu le directeur général délégué Alain Plet troller en pleine nuit dans les commentaires d’un article des DNA et le responsable sponsoring Jean-Luc Delanoue se prendre un bon gros backlash des familles sur un réseau social professionnel après avoir traité de “pseudo-supporters” des gens qui sont pourtant ses clients. On ne jurerait pas que cette communication aussi parasite que maladroite n’a pas été aiguillonnée par un mouvement d’humeur du grand patron se plaignant d’être insuffisamment soutenu publiquement par ses salariés.
Car c’est bien là que se niche le non-dit de l’affaire dès avant le rachat par BlueCo : ceux qui connaissent le fonctionnement du club savent que le comportement en coulisse diffère fortement de celui affiché en public. Personnage avenant, tout en contrôle et lisse à l’extérieur, Marc Keller est un dirigeant d’entreprise décrit dans les mêmes termes comme dur, colérique et impulsif par plusieurs interlocuteurs qualifiés, que l’auteur de ces lignes a rencontré à des époques et dans des contextes très différents. C’est cette forte exigence, et la crainte qu’elle a parfois instillé, qui ont notamment permis au Racing de fonctionner dans les premières années du mandat Keller avec une structure extrêmement réduite où le souci d’économie allait jusqu’à la pingrerie. Il en va de même pour les relations presse, où l’image très propre véhiculée en externe détonnait fortement avec les rapports pour le moins rugueux instaurés en privé par Thierry Hubac époques I et II. On souhaite d’ailleurs sincèrement bon courage à son sympathique successeur, Jeoffrey Voltzenlogel, lequel doit avoir pas mal de boulot en ce moment. Le réseau tentaculaire de Marc Keller, de la Fédération à France 1998 en passant par Canal plus et les politiques locaux faisait le reste pour ouvrir les portes, voire les forcer quelque peu comme dans le cas Luzenac.
Évidemment, personne ne s’en est plaint publiquement tant que le succès était là et que celà servait une institution où tous les acteurs étaient alignés. Maintenant que la forfaiture BlueCo est consommée, tout cela va progressivement ressortir de façon diffuse. C’est sans doute un peu mesquin mais compréhensible et cela constitue une forme de réflexe défensif d’une institution qui a été profondément violentée en juin dernier par un choix cupide.
Tout l’enjeu consiste désormais à savoir quel chemin Marc Keller va prendre pour tâcher d’habiller honorablement son inévitable sortie. La crise prévisible du football français cet été sera à ce titre particulièrement intéressante. Toujours invendus, les droits TV qui constituent 55 ou 60% du budget d’un club moyen de L1 vont baisser la fois à dans leur assiette et du fait de la ponction CVC, ce qui devrait mettre en péril l’économie de la plupart des clubs. C’est probablement une cause racine, peut-être même la seule, du choix de vendre dans une telle urgence en juin 2023.
Dans un tel panorama, Marc Keller aura le luxe d’avoir plusieurs options. Il peut par exemple profiter de la grande braderie qui aura lieu pour amender à la marge la politique sportive et espérer ainsi récupérer du crédit auprès d’une frange moins avertie du public par l’un ou l’autre transfert clinquant. Ce serait habile et séduisant mais il continuerait néanmoins à traîner comme un boulet le désalignement évoqué plus haut. Il peut, a contrario, prendre argument du marasme pour justifier ouvertement une politique de sujétion à Chelsea par un très londonien “there is no alternative”. Ce serait une façon de trancher le noeud gordien et d'accepter le conflit, charge à chacun de se positionner par rapport à un Racing désormais ouvertement transformé en nurserie de transit. L’Escovien peut enfin prendre la poudre d’escampette à la FFF ou à la LFP qui auraient évidemment besoin de son immense talent pour tenter de solutionner l’immonde clusterfuck qui s’annonce. Ce serait une fuite en l’apparence par le haut mais bien peu glorieuse sur le fond, un peu comme ces hauts fonctionnaires qu’on promeut dans un corps d’inspection quand ils ont fait une connerie à un poste opérationnel sensible.
***
Quelle que soit l’issue, et même si tout change pour ne rien changer, la vente à BlueCo ternira à jamais le bilan d’une décennie à tous points de vue exceptionnelle.
Ce n’est pas être ingrat que de le regretter profondément. C’est même tout l’inverse.

lire la suite

l'actu


h